En quête d’une place

Daniel Sibony, psychanalyste, écrivain. Dernier livre parus: De l'identité à l'existence. (Odile Jacob).

La première partie de l’œuvre de Lisa Seror fut de peindre, durant des années, la vie quotidienne des siens, des Juifs en Tunisie. Et pour cause, ils ont dû la quitter; elle aussi vint en France à quatorze ans, et fut très vite déçue par la grisaille parisienne si opposée à la lumière de là-bas. Elle s’est mise à peindre après quinze ans de cet exil, quinze ans durant lesquels elle a, dit-elle, beaucoup dormi, comme le font certains êtres frappés par un trauma qu’ils ont du mal à déchiffrer, comme s’ils cherchaient dans le rêve et le sommeil d’autres ressources. Cette période d’évocation, de nostalgie, beaucoup d’artistes ne peuvent pas l’éviter quand l’écart est trop violent entre le vécu de leur enfance et celui de leur lieu d’accueil.

Puis elle est passée à autre chose, comme si cette veine avait fini non pas par s’épuiser (on peut y passer toute sa vie), mais par lui ouvrir une question plus urgente: et après?

Après la période « Trames et textures » l’artiste, pleinement reconnue dans son pays d’origine, et lors d’un voyage à Tunis, en passant par les anciens quartiers juifs, elle remarque que les chaises sur le pas de la porte, où l’habitant s’asseyait pour prendre l’air de la rue et parler avec les voisins, ces chaises étaient vides. Du coup, cette question a surgi: quelle est notre place sur cette terre? « Notre », la sienne et celle de son peuple.

C’est ainsi que s’est ouverte pour elle une nouvelle période picturale, qui dure jusqu’à maintenant, qu’elle intitule « Les chaises », où elle explore la place, l’emplacement, le déplacement possible, l’énigme du rapport à l’autre, à la fois étranger et familier; et le vide bien sûr – celui qu’on vous oblige à faire, et celui où vous recherchez, peut-être, le divin.

En attendant, l’accueil chaleureux de la Tunisie continue; elle reste la juive artiste qui aime son pays d’origine. Et l’on sait que l’amour de la langue et la terre arabes traverse tous les obstacles, et impose la bienveillance. Et c’est sur fond de cet amour, qu’à travers ces présences du vide, sa question de départ la relance: y a-t-il une place quelque part pour elle et pour les siens?

A nous de la prolonger: qu’est-ce que cette question peut déplacer? L’avenir le dira.